mardi 2 janvier 2018

Chronique d'une rectitude qui se cherche un sens politique


Une ombre plane sur nos débats, discussions, réflexions, opinions et palabres divers : l'ombre de la rectitudeToutes les puissances de la vieille pensée droite et juste se sont unies pour débusquer cette ombre : les chroniqueur.e.s, les politicien.e.s, les idéologues du Québec et du Canada tout entier. (ici une note : J'ai commis un pastiche d'une célèbre introduction qui m'a dès l'abord impressionné à la fois par sa puissance métaphorique et sa résonance militante. Certain.e.s la reconnaîtront : « Un spectre hante l'Europe : le spectre du communisme. Toutes les puissances de la vieille Europe se sont unies en une Sainte-Alliance pour traquer ce spectre : le pape et le tsar, Metternich et Guizot, les radicaux de France et les policiers d'Allemagne. »)


La rectitude : une traîtresse à la pensée droite


La pensée médiatique de droite, portée par plusieurs hérauts dont l'accès aux tribunes les plus en vue semble assuré, est en passe de trébucher sur cette chose  qui devrait pourtant lui être consanguine. C'est comme si son exigence de droiture avait trouvé dans son principe même sa propre limite, par un singulier mouvement qui la renverse en la niant ; elle accuse la rectitude de la pire offense à la libre pensée : la censure, qu'elle soit simple menace ou mesure effective.  Pour en atténuer le choc, elle l'a confinée dans son attribut le plus détestable : la rectitude politique.

(ici une note : La pensée de gauche s'y est plutôt bien retrouvée, depuis qu'elle a admis que ses combats dépassaient la vision d'un renversement du système par une révolution prolétarienne. Ce n'est pas dire que la lutte des classes est un concept dépassé, mais que sa portée s'est décentrée ou considérablement déplacée).

Le terme rectitude politique est une traduction, proprement québécoise et rarement entendue dans le reste de la francophonie, de la political correctness (ou ce qui est politicly correct), laquelle réfère aussi bien à la droiture qu'à la raison. En effet, la rectitude stricto sensu est la « conformité à la règle droite, aux vrais principes, à la saine raison. » (Wiktionnaire), ou la  « qualité de quelqu'un qui se conforme strictement à la raison, au devoir : Rectitude de caractère. » (Larousse). Or il semble que, malgré la vertu qu'elle manifeste, et peut-être même à cause d'elle, celle-là soit devenue l'insulte récurrente et la béquille argumentaire d'un discours qui, à tort ou à raison, se croit de plus en plus souvent en péril.

Mathieu Bock-Côté ouvre son année "chroniquante" avec le nouveau mantra anti-censure :

« En 2017, on l’a bien senti, les nouveaux curés qui surveillent la morale publique ont rajouté quelques couches au politiquement correct. Il nous faudra redécouvrir le droit de parler en nous fichant de leurs sermons idéologiques et de leur prétention à distribuer ou retirer des permis de parole publique. Les Québécois devraient avoir le droit de débattre collectivement sans qu’on hurle sans cesse au « dérapage » ou au propos scandaleux. » Ce voeu que nous transmet M. Bock-Côté est au coeur du malaise non-assumé des porteurs du discours droit. La clef de ce malaise est dans ce qu'il appelle la "prétention à retirer des permis de parole publique". Nous vivons pourtant à une époque où la presse, écrite ou parlée, n'a jamais joui d'autant de liberté. Les décisions, réprimandes ou jugements du Conseil de presse (à qui le CRTC a délégué la chose), aussi sévères soient-ils, n'ont aucune portée restrictive ni coercitive. Quelle est donc cette crainte de se faire censurer, là où la censure (la vraie, contraignante) n'a aucune espèce d'existence ?

C'est ce même fantasme inquisitoire qui affecte un autre chroniqueur à qui, à l'instar de son collègue, le confort d'une tribune ne fait jamais défaut. Àl'occasion d'une réflexion sur la nouvelle couleur du fascisme (on est passé du brun au beige), Marc-André Cyr relève à la fin de sa tirade une plainte de Michel Hébert :

« Le fascisme brun était offensif et conquérant, le beige se laisse porter par la déchéance du statu quo. Car les beiges, ils sauront vous le dire, défendent la démocratie et la civilisation. Ils ne se dressent contre personne, ce sont les Autres qui les menacent. Le discours est renversé, mais il ne pose pas moins les mêmes problèmes que sa version antérieure. «Critiquer l’absurdité de la situation à la frontière vous expose donc à une fatwa des fascistes cosmopolites», affirme Michel Hébert (JdeM, 15 août). »


Le discours de M. Hébert illustre à merveille cet étrange renversement de perspective face à la rectitude : le meilleur  argument contre une critique de ce que vous dites est de l'associer à la rectitude, pour mieux l'accuser de vous empêcher de critiquer alors que vous jugez bon de le faire. Mais votre position est forcément droite, puisque, a priori, il faut bien que vous pensiez avoir raison. La contradiction n'est même pas subtile. C'est ce qu'avait bien pressenti M.-A. Cyr dans ce texte qui date d'octobre 2015 :

« Les amis du Prophète revendiquent le respect tout en méprisant ceux qui les critiquent. Ils se présentent en victimes de la pensée dominante alors qu’ils en sont les haut-parleurs. »


Rectitude et frustration


Avant de continuer à débusquer cette hantise de la rectitude chez nos chroniqueur.e.s, essayons de circonscrire un peu cette fameuse rectitude politique. Un court billet de l'anthropologue Yann Pineault mérite qu'on s'y attarde, car l'appel qu'on y entend à l'ouverture au dialogue est somme toute prometteur.

L'auteur la définit « comme une rigueur, mais aussi une posture normative qui amène les individus à suivre un ensemble d’idées de façon rectiligne. » On y entend très bien la droiture. Et le problème serait justement lié à cette sorte d'obsession de la ligne à suivre, entraînant l'impossibilité du dialogue, de la discussion ou des débats. Les opinions divergentes n'arriveraient donc jamais à s'exprimer, car elles seraient d'emblée soumises à un cadre normatif motivé par la rigueur et en dehors duquel toute position apparaîtrait comme déviante. Par surcroit, les idées assujetties à la rectitude deviendraient particulièrement péremptoires lorsque légitimées par le corps politique au pouvoir. Ainsi, ces idées droites, en « [excluant] d’emblée certaines opinions, [génèreraient] des frustrations qui ne sont pas prises en compte. »

De là viendrait le mécontentement de quiconque se fait traiter de raciste parce qu'il ose, par exemple, exprimer sa crainte de l'immigration en même temps que sa frustration. « Celle-ci se manifeste sur différentes tribunes et prend la forme d’arguments parfois insensés, qui bien souvent reflètent l’absence de dialogue et de sens associé au discours du politiquement correct. »

J'arrête ici ma lecture de Pineault. Sa démonstration, bien que convaincante à prime abord, s'appuie sur un argument circulaire. On pose d'abord comme prémisse que la rectitude cause l'impossibilité du dialogue, d'emblée, pour ensuite conclure que si la frustration sort "tout croche" à travers des raisonnements faux, c'est parce qu'elle reflète cette impossibilité. Le refus présumé du dialogue, prêté à la rectitude, est reflété (et donc exactement le même, mais inversé) chez qui la subirait. C'est comme si votre interlocuteur vous disait, à vous qui avez des idées droites et rigoureuses, « je ne peux te répondre adéquatement en étayant mon opinion, car la tienne est telle que ça m'empêche de dire la mienne. Ta rectitude m'empêche de parler. Alors je laisse sortir  mes idées tout de travers et ça va te donner, une de fois de plus, l'occasion de me juger.» Il y aurait une tyrannie de la rectitude, avec son lot de victimes.

Par ses chroniques, Lise Ravary représente un excellent exemple qui, sans regard critique, pourrait corroborer la théorie de Pineault. La frustration est bien sentie, en particulier dans ce billet où la chroniqueuse se plaint de ne pas pouvoir être critique face à l'islam.

Passons sur le sophisme, abondamment utilisé par plus d'un.e, qui consiste à attribuer la demande d'une (ou plusieurs) association(s) musulmane(s) à une action concertée des forces islamistes. La phrase symptomatique est la suivante : « Quoi de plus efficace pour faire taire la critique que d’évoquer la soi-disant culpabilité collective des Québécois, année après année, dans cet attentat ? ». S'en suit une complainte contre le souvenir du drame de la polytechnique, « une journée qui divise les hommes et les femmes depuis 1989 », ainsi qu'un épanchement d'une sincérité affectée sur les victimes de ce genre de drame. En bout de piste, on se demande un peu quoi faire pour ne pas succomber à la rectitude. Il semble donc que la frustration gagne le discours pour « [prendre] la forme d’arguments parfois insensés », comme le dit Y. Pineault.


L'obsession de la rectitude politique pousse même Mathieu Bock-Côté à y reconnaître une pathologie certaine : « Le politiquement correct fait des ravages partout en Occident. Il nous pousse à la folie collective. » Il est question ici d'une adaptation un peu "hors normes" de l'opéra Carmen, où le metteur en scène a pris la liberté de modifier la fin tragique par une autre fin non moins tragique : Carmen n'est pas tuée par son amant jaloux, mais c'est l'inverse qui se produit. Révulsée par cette issue inattendue, la pensée droite de M. Bock-Côté s'insurge énergiquement contre cette rectitude : « L’argument mis de l’avant : on ne saurait, dans un monde comme le nôtre, banaliser la violence faite aux femmes. Alors maintenant, si on comprend bien, c’est elle qui tue son agresseur en se défendant contre lui. Ouf ! Immense soulagement ! C’est ce qu’on appelle réécrire un chef-d’œuvre de l’histoire de l’opéra. » Le thème de la violence contre les femmes étant cher à la rectitude, le renversement de perspective qui l'exploite peut bien relever de la folie, selon l'auteur (qui ignore que folie et maladie mentale n'ont pas le même sens, ce qui donne encore raison à Y. Pineault dans cet intéressant cas).


Rectitude et altérité


Jean-Luc Alber donne à voir une autre approche de la rectitude.

Dans un article qui, bien que datant de 2002, n'a rien perdu de sa pertinence ni de son actualité, l'auteur remarque en quoi la rectitude politique signale la nécessité de protéger ce qui est situé en marge. Citant deux définitions (Gauthier et Semprini) prenant le phénomène par deux bouts différents, mais complémentaires (ici une note), J.-L. Alber souligne qu'elles «décrivent un ensemble de convictions qui guideraient un mode d’engagement dans l’existence à l’égard des personnes susceptibles d’être discriminées en raison de leur altérité.» D'un côté, la rectitude politique viserait à prôner la sensibilité et la tolérance à l'égard de tout ce qui serait, soit minoritaire, soi hors-norme, ou même objet de discrimination en raison d'un critère (sexe, ethnie, religion). D'un âtre côté, elle définirait une posture soucieuse d'éviter de provoquer la susceptibilité chez tout groupe plus ou moins ostracisé.


La préoccupation pluraliste naissante à travers les grandeurs et misères du multi-culturalisme, par la position qu'elle est forcée d'occuper concernant la protection et la promotion des droits des «minorités», porte et reconduit la rectitude politique jusqu'à en faire une banalité que même les groupes détenant le pouvoir peuvent endosser. Si elle est reprise par la gauche sans qu'elle soit nommée, c'est qu'elle est devenue un enjeu pour la droite conservatrice qui voit dans tous ces mouvements des différentes altérités une menace à sa droiture, voire à ses intérêts. Roméo Bouchard et Louis Favreau auraient pu cerner correctement le phénomène, s'ils n'avaient pas adopté une approche polémique qui croit percevoir deux gauches : une bonne et une mauvaise.


On sent bien cette assourdissante peur de l'altérité, dans cette sortie frondeuse de Denise Bombardier, à propos de Gabrielle Bouchard :

« Bien sûr, les médias sont à quelques exceptions près devenus muets lorsqu’il s’agit d’interroger Gabrielle Bouchard sur son parcours. Comment peut-elle parler au nom de toutes les femmes, elle qui a été formée dans la culture masculine, ignorant les expériences vécues par les femmes depuis l’enfance ? Nous sommes tous prisonniers d’une terrible rectitude politique puisqu’elle nous interdit d’exprimer quelque doute sur le bien fondé de pareille réalité. Car le risque est grand alors d’être honni et menacé sur les réseaux sociaux. »


Enfin, l'intellectualisme anti-rectitude


Les exemples de réaction à la rectitude sont légion. Il en sort à toutes les semaines. Je terminerai par ce billet que Le Devoir a cru bon de classé sous la rubrique "Idées", mais qui à mon sens aurait pu tout aussi bien l'être sous celles de "Lettre" ou de "Libre opinion". Il s'agit d'un long commentaire de Gilles McMillan sur la lettre d'Amir Khadir appelant ses concitoyen.ne.s à se solidariser contre, entre autres choses et surtout, l'islamophobie. L'essayiste veut nous rappeler que l'accusation d'islamophobie a pour effet  de museler toute tentative de discussion. Mais quel est donc le sujet de la discussion ? Réponse : la montée de l'islamisme en occident.

G. McMillan saisit donc l'occasion fournie par le texte de A. Khadir faire porter notre regard sur les travaux de réflexion que plusieurs intellectuels européens ont accompli sur le sujet. Alors qu'on se demande en quoi ce sujet interfère avec l'intervention du député de Mercier (ça n'était pas son propos), le chat (pas celui d'Amir Khadir) sort du sac :

« Dans ce dialogue avec le psychiatre Boris Cylrulnik, Sansal affirme que la priorité des priorités politiques devrait être de combattre la nhada, « l’éveil islamique », qui ne sera pas stoppé par un langage de rectitude politique. »

N'est-ce pas qu'elle nous embête, cette damnée rectitude ?


Et bla bla bla de Denis Bombardier qui frappe encore sur la rectitude politique pour sauver les mots :



Bel exemple de l'éloge de la retenue et de la discipline (on dirait la meute), en oubliant qu'un bord ()la droite) détient tout de même le pouvoir :



MBC qui ressasse encore son horreur de la réflexion anti-islamophobe :



Hors sujet : Fatima Houda-Pepin, condescendante envers les orphelin de l'attentat de la Mosquée :




Sophie Durocher pourfend le discours féministe qui nous empêche de parler :




Ça parle de Christian Rioux qui joue  à la victime (un peu de la rectitude) :



Délire de Michel Hébert sur GND, la gauche et le PQ :




Et tout en cassant du sucre sur la gauche supposée multiculturelle :



Denise Bombardier, à propos de Gabrielle Bouchard :

« Bien sûr, les médias sont à quelques exceptions près devenus muets lorsqu’il s’agit d’interroger Gabrielle Bouchard sur son parcours. Comment peut-elle parler au nom de toutes les femmes, elle qui a été formée dans la culture masculine, ignorant les expériences vécues par les femmes depuis l’enfance ? Nous sommes tous prisonniers d’une terrible rectitude politique puisqu’elle nous interdit d’exprimer quelque doute sur le bien fondé de pareille réalité. Car le risque est grand alors d’être honni et menacé sur les réseaux sociaux. »

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